
« Que la traduction soit un substitut de la création entraîne un corollaire: les traductions que choisit de faire un écrivain trouvent naturellement place dans son œuvre, aux côté de ses ouvrages originaux. Il est légitime et pertinent d’inclure, par exemple, dans une édition des œuvres complètes de Baudelaire, de Proust, de Larbaud ou de Lu Xun, les traductions qu’ils ont effectuées.
Le grand écrivain chinois moderne Zhou Zuoren, qui a parsemé ses essais d’un vaste chois de traductions (classiques grecs, littérature japonaise classique et moderne, littérature anglaise) a développé cette idée: un écrivain peut décider de traduire divers textes pour donner à des choses qu’il avait en lui mais ne trouvait pas le moyen d’exprimer. C’est pourquoi il est approprié d’incorporer ces traductions dans un recueil de ses propres écrits Il en va d’ailleurs de même pour les citations et les notes de lecture qu’accumulent certains écrivains – ce que les anglais appellent un Commonplace Book (voyez par exemple celui de E.M. Foster, publié il n’y a guère – ou encore, le Spicilège de Montesquieu…). Mettez bout à bout les pages que vous avez copiées au fil de vos lectures: cet ensemble, sans qu’il contienne une seule ligne qui soit de vous, pourra parfois composer le meilleur portrait de votre esprit et de votre cœur. Ces mosaïques de citations ressemblent à un « collage » pictural: tous les éléments sont empruntés, mais leur ensemble forme une image originale. »
SIMON LEYS « Substitut de la création IV » in « L’ange et le Cachalot