
« On retrouve donc, au niveau des recherches portant sur la construction rythmique de la phrase, la concurrence entre les deux tendances qui commandent ainsi qu’on l’a vu, tout le problème de l’ordre des mots: une tendance intellectuelle et une tendance affective, la première visant à une présentation logique, adaptée à l’entendement de l’interlocuteur, la seconde fondée sur la recherche de l’expressivité. Cet examen des ressources offertes par une langue à l’usager en général, et à l’écrivain en particulier, pourra servir d’introduction à l’un des points essentiels de l’analyse stylistique, l’étude de la phrase considérée comme une organisation musicale et logique. » Frédéric Deloffre in La phrase française.

“Que l’on ne puisse pas lire les textes médiévaux en faisant abstraction de leur contexte se comprend de soi-même : la manière dont ils étaient reçus au Moyen Âge dépend de façon significative du rôle qu’ils remplissaient dans une compilation. En fonction du contexte et de leur fonction, ils étaient abrégés, développés, modifiés ou dotés d’un prologue. Comme ils n’ont que rarement été mis par écrit qu’une seule fois, la comparaison de plusieurs versions offre la possibilité – en tenant compte du contexte – de découvrir des niveaux de signification additionnel Même si un archétype pouvait être reconstruit, il resterait difficile de comprendre le « sens » du texte, son « ancrage dans le monde ». En effet, celui-ci, de même que la version du texte, change en fonction du cadre dans lequel le texte s’insère, le texte médiéval – bien que tout à fait conçu comme une entité indépendante – n’ayant en règle générale pas été reçu comme tel, mais toujours en lien avec d’autres écrits. Il s’agit là du concept de mouvance des textes médiévaux postulé par Paul Zumthor, par lequel ceux-ci ont été chaque fois adaptés à de nouveaux contextes. À présent, tous les systèmes sémiotiques – comme la mise en page, les enluminures, etc. – font l’objet d’une attention plus grande, et la matérialité du manuscrit joue également un rôle important. Cela signifie que l’étude de la culture écrite vieux-norroise est devenue plus complexe, et que, dans cette nouvelle perspective, le fait linguistique n’est plus que primus inter pares.” Alessia Bauer in Formes de la culture écrite en germanie du Nord (extrait – traduction par Audrey Matys)

L’architecture ne tolère pas l’aphorisme, paraît-il, depuis que l’architecture existe comme tel en Occident. Il faudrait peut-être en conclure qu’un aphorisme en toute rigueur n’existe pas: il ne paraît pas, ne se donne pas à voir dans l’espace, ni traverser, ni habiter. Il n’est pas, même s’il y en a. Comment se laisserait-il lire? On n’y entre ni n’en sort jamais, il n’a ni commencement ni fin, ni fondement ni finalité, ni bas ni haut, ni dedans ni dehors. Ces assertions n’ont de sens qu’à la condition d’une analogie entre le discours et tous les arts dits de l’espace. » Jacques Derrida (Cinquante deux aphorismes pour un avant-propos)

(1)Pour nous attacher à la Terre le Ciel est partout et sa circonférence nulle part
(2)La métaphysique recèle de certains abîmes que la poésie Seule permet de survoler avec grâce mais non sans que nous en éprouvions chaque fois les frissons d’une incontestable et délicieuse angoisse!
(3)Gageons que c’est un Hasard aussi généreux qu’imprévisible et définitivement Capricieux qui aura donc, toujours déjà, jeté les dés d’une implacable, aveugle et aveuglante Nécessité…
(4)Les œuvres que nous reconnaissons comme des Chefs d’œuvres du Grand Art sont toujours aussi celles qui nous disent le mieux l’impossibilité du Chef d’œuvre!
(5)Légère ou profonde une très ancienne et très précieuse mélancolie guette sûrement celui ou celle qui voudrait refaire le Monde tout en le contemplant…
(6)Chaque existence humaine, de la conception qui la cristallise jusqu’à une ultime, interminable et très féconde dispersion n’est jamais, au bout d’un impossible compte, qu’une expérience inachevée de l’inachèvement…
(7)L’écriture, permettant de travailler plus longuement le style, rendant possibles toutes sortes de ruses ou d’embuscades ouvre la voie à toute ces stratégies dont nous savons combien elles peuvent rendre la vie tout à la fois plus imprévisible et plus déroutante, plus dangereuse et finalement plus excitante!
(8)Mais quel crédit accorder doute s’il s’agit de douter de la valeur du doute?
(9)La séduisante illusion d’une âme à détacher du corps est bien ce leurre ou cet artifice, cet astucieux et très spirituel tous de passe passe inventé par l’homme pour lui permettre d’y dissimuler rapidement le dépit d’être né sans l’avoir voulu ainsi que l’humiliation d’être promis à une disparition toujours plus proche
(10)La poésie ne cesse d’entretenir comme une flamme l’écho d’une grâce dont l’impatience aurait pu nous priver…
(11)La vraie et Ultime Sagesse est bien la Seule et Unique source d’un parfum qui, pour nous la rendre plus désirable encore vient embaumer de la façon la plus soudaine et la plus inattendue certains recoins parmi les plus reculés de notre indispensable et double labyrinthe à Ciel Ouvert et à Claire Voie
(12)Ce qu’on appelle Hasard est toujours aussi et toujours aussi généreusement ce qui se manifeste en nous comme don de l’Energie
(13)N’importe quel objet trouvé, aussi insignifiant puisse-t-il paraître, peut devenir le point de départ d’un nombre incalculable d’authentiques œuvres d’art, quitte à devoir se contenter parfois de cet unique point de départ!
(14)On ne remercie jamais vraiment le Hasard que pour son insolente, insondable et capricieuse Générosité
(15)Car c’est en continuant vaillamment son éternel combat contre la métaphore que la raison, toujours aussi méthodique, prévoyante et calculatrice lui rend l’hommage le plus sincère, le plus mérité et bien sûr aussi le plus convaincant!
(16)Que deviendrait notre pensée si fière de ses concepts et autres savantes abstractions sans l’incessante poussée de nos cheveux, sans la tension parfois douloureuse de nos muscles, sans la silencieuse mais inexorable érosion de chacun de nos os ?
(17)Les métaphores sont, dans la langue, comme des fleurs qui se reproduiraient en toutes saisons et grâce à leurs Seuls parfums.
(18)Chaque nuit, dans chacun de nos rêves ou cauchemars n’assistons-nous pas au spectacle d’une pièce dont le sens nous échappe alors même que nous ne pouvons pas ne pas nous en considérer tout à la fois comme l’auteur inspiré, l’inventif metteur en scène, l’acteur protéiforme et bien sûr aussi le Seul spectateur véritablement convaincu et enthousiaste ?
(19)Pour exercer nos forces vitales il nous faut pouvoir affronter des compétiteurs qui nous ressemblent : intelligents, courageux et dotés surtout d’un solide sens de l’humour.
(20)Car c’est dans l’exacte mesure de notre participation à l’Energie Originaire que le Hasard est en nous une puissance aussi douloureusement créatrice que généreusement destructrice !
(21)Nourrie au lait de très anciennes humiliations un très coriace et très toxique ressentiment ne cesse de naître et de renaître en nous comme la fleur attirante et vénéneuse d’une très sombre, très intime et très sournoise méchanceté…
(22)A l’origine de toute création il y a la Présence nécessaire de l’Absence, l’éternelle, injustifiable et Omniprésente Indifférence du Vide
(23)La Question même de l’Origine ne devrait-elle pas pouvoir étancher notre soif tout autant et peut-être même beaucoup mieux que n’importe laquelle de ces réponses interminables, souvent assommantes et parfois scabreuses qu’on s’efforce obstinément de lui apporter ?